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/ Département de linguistique et de traduction

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In memoriam Robert Dubuc

Le Québec vient de perdre un de ses emblématiques porte-drapeaux de la langue française. Robert Dubuc allait avoir 93 ans. Être solaire aux multiples talents, francophone engagé, Robert Dubuc s’est illustré sa vie durant dans le champ du langage. S’il est surtout connu comme pionnier de la terminologie, il faut rappeler qu’il était aussi traducteur, auteur d’ouvrages à succès, professeur, entrepreneur et... peintre ! Ajoutez à cela qu’il a dirigé les services linguistiques de Radio-Canada, contribué à la création de la Banque de terminologie de l’Université de Montréal (BTUM), qui a donné Termium – la grande banque de terminologie du Canada que gère le fédéral. Autant d’activités qu’il a su mener, de front le plus souvent, grâce à une puissance de travail, un sens de l’organisation et une discipline peu communs.

C’est à la tête des services linguistiques de Radio Canada que Robert Dubuc, langagier déjà reconnu, lança une carrière linguistique qui devait se dérouler sur plus d’un demi-siècle. On sait l’importance du rôle de Radio Canada – « écho de l’actualité linguistique » dixit Jean-Claude Corbeil – dans la préservation et le développement de la langue française au Québec. En observateur attentif des faits de langue, R. Dubuc y trouva un riche laboratoire où puiser le matériau dont il concevra la vision terminologique que la confrontation quotidienne de l’anglais et du français lui inspirera au fil des années. Il put ainsi relever nombre d’impropriétés, d’anglicismes et de maux divers parsemant le français des communications. Il s’ensuivit une longue liste d’ouvrages, articles, recensions, notices et notules, dont la quarantaine de publications parues dans la revue Meta donne une idée précise de ses visées et réalisations. Toutefois, c’est son Manuel pratique de terminologie (1978) – où, selon l’éditeur, il « propose une démarche simple et rigoureuse pour arriver à l’établissement d’une terminologie implantée dans l’usage » – qui lui valut la reconnaissance internationale et la faveur de générations d’étudiants, sensibles à son « supplément d’âme » (John Humbley). Ce supplément, il l’injectait dans ses cours de terminologie, la discipline qu’il enseigna longtemps à l’Université de Montréal, où ses cours étaient ponctués de son rire éclatant et communicatif. Il y enseignait en particulier le modèle de fiche terminologique (en 18 champs) qu’il avait mis au point et qui servit à de nombreux terminologues et traducteurs pour établir vocabulaires, lexiques et glossaires sur une base rigoureuse et synthétique.

Cette expertise terminologique favorisa de multiples collaborations et lui valut plusieurs distinctions, dont Le Prix Vaugelas de grammaire (Genève, 1986) et un doctorat honorifique de l’Université d’Ottawa (1997), avec la reconnaissance de divers ordres et sociétés. Quant aux nombreux projets et travaux auxquels il collabora au fil des ans, il faut citer parmi d’autres la Banque de terminologie de l’Université de Montréal (BTUM). Cofondée en 1970 avec Marcel Paré, directeur de la banque, elle a donné naissance (1976) à TERMIUM (Terminologie de l’Université de Montréal), devenue depuis la grande banque de terminologie, connue dans le monde entier avec ses quelque quatre millions de termes accessibles gratuitement en ligne.

Terminologue, enseignant, Robert Dubuc avait également l’esprit d’entreprise. Il fonda, en 1975, avec quelques collègues – dont Paul Horguelin – la maison d’édition Linguatech, alors pionnière dans le vaste champ langagier, universitaire et collégial comme professionnel, qui a publié de nombreux ouvrages didactiques et documentaires originaux, ainsi que des œuvres littéraires. Auteur prolifique, Robert Dubuc y a publié tous ses ouvrages[1], dont les quatre éditions du Manuel pratique de terminologie (4e éd., 2002), En français dans le texte (2000), Une grammaire pour écrire (2e éd., 2007), Au plaisir des mots (2008). Ces ouvrages côtoient ceux de professeurs de traduction des années 1970 qui ont fait leur marque dans l’enseignement de la traduction générale ou spécialisée – notamment, Horguelin, Bédard, Rouleau, Delisle, Tremblay –, ouvrages qui ont permis de former avec rigueur traducteurs et autres langagiers, hier comme aujourd’hui. La plupart sont des ouvrages de référence car ils ont ouvert des voies encore inexplorées (traduction technique, juridique, médicale, révision, rédaction, ...), proposé méthodes et solutions pratiques, propres à préparer les étudiants en traduction à l’exercice d’un métier ô combien difficile.

À cet égard, l’apport de praticiens d’expérience et de haut niveau à ces formations, tels Robert Dubuc et Paul Horguelin, s’est révélé des plus fructueux : il a fait des émules qui poursuivent leur oeuvre.

Langagier complet, Robert Dubuc avait d’autres intérêts et passe-temps. Homme sensible et raffiné, baignant dans la culture, il aimait les arts, la peinture en général et la peinture abstraite en particulier. Il exerça longtemps cet art qui, tout en lui permettant de se détendre, lui offrait l’occasion d’exprimer, non plus par écrit mais sur une toile, sa vision artistique, abstraite en l’occurrence, des choses. Le regard attendri qu’il portait sur cet horizon imaginaire le transportait du monde mystérieux des mots à celui de l’imagination créatrice de l’artiste qu’il était aussi. Les personnes – dont je fus – qui eurent l’occasion de découvrir ses toiles lors des vernissages et expositions de ses œuvres l’ont bien perçue.

On se souviendra de la personne généreuse qu’était Robert Dubuc, homme à l’esprit curieux, ouvert aux différences et à l’écoute des autres, ainsi que d’un héraut de la langue française, qu’il a longuement illustrée et patiemment enrichie. Son rire si caractéristique résonnera longtemps dans nos mémoires.

 

                                                                                                                Jean-Claude Gémar

                                                                                                                Professeur émérite

 


[1] En 2021, les Presses de l’Université de Montréal ont acquis le fonds de Linguatech et de ses quelque 50 ouvrages publiés. Voir la liste complète de ces ouvrages à cette adresse : https://www.pum.umontreal.ca/collections/linguatech/. On y trouvera les ouvrages pionniers de la traduction générale et spécialisée produits au Québec.